Je me souviens de comment l'adolescente puis la toute jeune adulte que j'étais ont été critiquées parce qu'on leur reprochait de ne pas être douées en cuisine.

Je me souviens des amies de ma famille disant qu’il fallait me guérir de ce défaut car, sinon, aucun homme ne voudrait de moi. Comme si être femme ne se résumait qu’à cela.

Pendant des années, j’ai considéré avec réticence le fait de cuisiner pour les autres. Certains attribuaient cela à un manque de talent, j'appelais cela "préserver ma paix".

À ceux qui me demandaient de cuisiner, je répondais souvent que j’avais des goûts différents d’eux et qu’ils risquaient de ne pas apprécier mes plats. Difficile de dire avec précision où commençait la vérité et où finissait le mensonge dans cette réponse.

Quand j'y pense aujourd'hui, je me dis que peut-être que mes exploits culinaires n’étaient jamais appréciés parce qu’ils étaient inexistants. Ou peut-être que, comme je le supposais, nos différences de goûts étaient ce qui leur empêchait d’apprécier ma cuisine.

Une autre explication que j’ai passé des années à me donner, c’est que je fonctionne mieux sans pression, car lorsque je suis seule pour cuisiner, j’y prends plaisir et le résultat n’en est que plus satisfaisant.

Alors qu’avant, cuisiner pour les autres me paraissait une corvée que je voulais à tout prix éviter, aujourd’hui je me suis découvert pour la cuisine un amour plein de tendresse. Je prends plaisir à préparer mes 3 repas (presque) tous les jours, à faire preuve de créativité dans mes plats, et à essayer des nouveautés.

M’a-t-il fallu être seule pour cela ? Même pas. Car j’ai réalisé qu'en fait, la solitude ne m’avait semblé mon seul recours que parce qu'elle m'aurait permis d'échapper à la suffocante présence de ces gens qui ne m’appréciaient pas à ma juste valeur.

Tout ce qu’il me fallait vraiment, c’était une (ou des) personne(s) prête à apprécier non pas le résultat final, mais les efforts que j’ai investis dans le processus. Et depuis que j’évolue dans cet environnement dénué de stress, de critiques et de jugements négatifs, ma cuisine ne s'en porte que mieux et je reçois des compliments à chaque fois.

Comme quoi être dans un environnement malsain, être entouré des mauvaises personnes ou être incompris sont autant de choses qui peuvent nous donner une image fausse et déformée de nous-mêmes, de nos capacités et de nos passions.

Cela montre que dans certains domaines, il n’est pas toujours évident pour tout le monde de grandir là où on a été planté. Un pêcher peut-il fleurir en plein Sahara ?

On est souvent encouragé à chercher à s'épanouir en dépit des contraintes que l'on rencontre dans son entourage. Mais ces petits détails de la vie qui ne dictent pas notre réussite, il peut être difficile de les laisser fleurir.

Peut-être qu'en fait, nous ne sommes pas aussi dénués de talents que nous avons été portés à le croire. Peut-être que sur certains points de nos vies, la graine que nous sommes a juste été semée au mauvais endroit.